Table des matières
- Exemples de projets numériques controversés au Canada
- 1. SAAQclic : Une transition chaotique vers le numérique (Québec)
- 2. Le Panier Bleu : Une initiative e-commerce mal dirigée (Québec)
- Financement public sans modèle d’affaires clair
- Absence de fonctionnalité transactionnelle
- Manque de compétitivité face aux plateformes établies
- Gestion des attentes et perte de confiance du public
- 3. Phénix : Un système de paie défaillant pour les fonctionnaires (Fédéral)
- Erreurs de paie généralisées
- Dépassements de coûts
- Dépendance à un fournisseur externe sans expertise suffisante
- 4. E-Health Ontario : Un projet de modernisation des soins de santé échoué (Ontario)
- Dépenses excessives sans résultats concrets
- Attribution de contrats sans appel d’offres
- Mauvaise gouvernance et manque de responsabilisation
- 5. Loto-Quebec en ligne : Une refonte numérique coûteuse et controversée (Québec)
- Investissements importants sans gains de performance notables
- Stratégie numérique face à la concurrence des plateformes privées
- 6. Le Portail ArriveCAN : Un outil pandémique devenu un scandale (Fédéral)
- Explosion des coûts
- Problèmes techniques et perturbations pour les voyageurs
- Manque de transparence sur les coûts et les sous-traitants
- Pourquoi ces projets échouent-ils souvent ?
- 1. Manque de vision et planification défaillante
- 2. Rigidité et lourdeur bureaucratique
- 3. Mauvaise allocation des ressources
- 4. Absence de responsabilisation
- 5. Faible prise en compte des utilisateurs finaux
- Pistes de solutions et leçons à tirer
- 1. Tester en profondeur avec des projets pilotes avant le déploiement total
- 2. Impliquer des experts internes et des startups locales
- 3. Mettre en place un suivi transparent avec responsabilisation des dirigeants
- 4. Utiliser une approche agile et adaptable aux besoins des citoyens
- Conclusion
Les projets numériques gouvernementaux sont souvent attendus avec espoir, mais nombreux sont ceux qui finissent par devenir des fiascos coûteux. Que ce soit au Québec, dans les autres provinces canadiennes ou au niveau fédéral, plusieurs initiatives ont soulevé des controverses en raison de leur mauvaise gestion, de leur coût élevé et de leur manque d’efficacité. Cet article explore six cas récents parmi les plus marquants, les raisons de ces échecs et les leçons à en tirer pour l’avenir.
Exemples de projets numériques controversés au Canada
Il existe plusieurs projets initiés par les gouvernements au Canada qui ont fini par devenir de véritables fiascos, tant en raison du dépassement des coûts que d’un échec presque total. Parmi ces projets, nous citerons ceux ci-dessous.
1. SAAQclic : Une transition chaotique vers le numérique (Québec)
Le projet SAAQclic, initié par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), visait à moderniser ses services en ligne. Cependant, sa mise en œuvre a été entachée de nombreux problèmes, notamment des dépassements de coûts et des retards significatifs. En septembre 2022, en pleine campagne électorale, le conseil d’administration de la SAAQ a choisi de dissimuler des dépassements de coûts de 222 millions de dollars, invoquant un « risque médiatique et politique élevé ». Selon certaines sources, les dépassements de coûts auraient atteint jusqu’à 500 millions de dollars. Cette situation a conduit à un déficit de 122 millions de dollars pour la SAAQ, avec des données financières jugées peu fiables en raison d’un manque de suivi des transactions.
Quelques problèmes majeurs :
- Une mise en ligne précipitée sans phase de test suffisante.
- Des files d’attente interminables aux centres de services en raison de l’indisponibilité du portail.
- Un manque de formation du personnel et des usagers.
- Des retards massifs et un impact négatif sur les citoyens et les entreprises.
2. Le Panier Bleu : Une initiative e-commerce mal dirigée (Québec)
Le Panier Bleu, lancé en avril 2020 par le gouvernement du Québec, avait pour objectif de promouvoir l’achat local en offrant une vitrine aux commerçants québécois. Cependant, plusieurs critiques ont émergé concernant sa conception et sa gestion.
Financement public sans modèle d’affaires clair
Dès son lancement, Le Panier Bleu a bénéficié d’un financement public de 4,12 millions de dollars. Par la suite, des demandes additionnelles ont été formulées, certaines estimations évoquant des besoins atteignant jusqu’à 20 millions de dollars pour développer la plateforme. Cependant, l’absence d’un modèle d’affaires défini a suscité des interrogations quant à la viabilité et à l’efficacité de l’initiative.
Absence de fonctionnalité transactionnelle
Initialement, la plateforme servait principalement de répertoire en ligne, sans permettre l’achat direct de produits. Cette limitation a été perçue comme un frein majeur, surtout face à des géants du commerce électronique offrant des services complets et intégrés.
Manque de compétitivité face aux plateformes établies
Le Panier Bleu s’est retrouvé en concurrence avec des plateformes bien établies comme Amazon, disposant de ressources et d’infrastructures logistiques avancées. L’initiative québécoise, malgré ses ambitions, n’a pas réussi à proposer une alternative suffisamment attractive pour détourner les consommateurs des géants du secteur.
Gestion des attentes et perte de confiance du public
Les attentes élevées autour du Panier Bleu, combinées aux lacunes opérationnelles et à l’absence de fonctionnalités clés, ont conduit à une déception parmi les consommateurs et les commerçants. Cette situation a entraîné une perte de confiance envers la plateforme et ses gestionnaires.
En somme, malgré des investissements publics conséquents, Le Panier Bleu n’a pas réussi à s’imposer comme une solution efficace pour le commerce en ligne au Québec, illustrant les défis liés à la création de telles plateformes face à une concurrence mondiale bien établie.
3. Phénix : Un système de paie défaillant pour les fonctionnaires (Fédéral)
Le système de paie Phénix, mis en place par le gouvernement fédéral canadien, a été l’un des plus grands scandales technologiques du pays. Conçu pour simplifier la gestion salariale des fonctionnaires, il a entraîné des problèmes majeurs dès son déploiement en 2016.
Erreurs de paie généralisées
Après son lancement, Phénix a causé des centaines de milliers d’erreurs de paie, affectant une majorité de fonctionnaires fédéraux. Ces erreurs comprenaient des paiements insuffisants, des paiements excédentaires et des retards dans le versement des salaires. Par exemple, en 2017, environ 51 % des chèques de paie émis aux employés le 19 avril comportaient des erreurs, une augmentation par rapport aux 30 % observés le 6 avril 2016.
Dépassements de coûts
Le projet Phénix, initialement budgété à 300 millions de dollars, a vu ses coûts exploser en raison des multiples problèmes rencontrés. Les estimations récentes situent le coût total du système aux alentours de 3,5 milliards de dollars.
Dépendance à un fournisseur externe sans expertise suffisante
L’un des facteurs ayant contribué à l’échec de Phénix est la dépendance excessive à un fournisseur externe sans expertise suffisante dans la gestion de systèmes de paie complexes. Cette situation a conduit à des erreurs de conception et à une mise en œuvre inadéquate du système.
En somme, le système de paie Phénix est devenu synonyme de dysfonctionnement administratif, mettant en lumière les défis liés à la gestion de projets technologiques à grande échelle dans le secteur public.
4. E-Health Ontario : Un projet de modernisation des soins de santé échoué (Ontario)
Le projet eHealth Ontario, lancé par le gouvernement de l’Ontario, visait à moderniser le système de santé en implantant des dossiers médicaux électroniques. Cependant, ce projet a été entaché de plusieurs problèmes majeurs :
Dépenses excessives sans résultats concrets
Malgré des investissements de plus de 1 milliard de dollars, le projet n’a pas abouti à des résultats tangibles. Un audit a conclu que le gouvernement provincial avait gaspillé plus de 1 milliard de dollars, ce qui a conduit aux démissions de l’ancien ministre de la Santé, David Caplan, et de l’ancien sous-ministre de la Santé, Ron Sapsford.
Attribution de contrats sans appel d’offres
L’une des principales critiques du projet concernait l’attribution de contrats sans processus d’appel d’offres compétitif. Cette pratique a soulevé des questions sur la transparence et l’équité du processus d’approvisionnement.
Mauvaise gouvernance et manque de responsabilisation
Le projet a également été marqué par une gouvernance dysfonctionnelle et un manque de responsabilisation. Ces lacunes ont contribué à des inefficacités et à des dépassements de coûts importants.
En somme, eHealth Ontario est devenu un exemple notable des défis liés à la gestion de grands projets technologiques dans le secteur public, mettant en évidence l’importance d’une gouvernance efficace et de processus transparents.
5. Loto-Quebec en ligne : Une refonte numérique coûteuse et controversée (Québec)
La plateforme de jeux en ligne de Loto-Québec a fait l’objet de plusieurs refontes numériques au fil des ans, entraînant des investissements significatifs. Cependant, ces efforts n’ont pas toujours conduit aux améliorations escomptées, et la société d’État continue de faire face à une concurrence accrue de la part des plateformes privées.
Investissements importants sans gains de performance notables
Loto-Québec a investi des sommes substantielles dans la modernisation de sa plateforme en ligne. Par exemple, le Plan stratégique 2017-2020 mentionnait la refonte des sites web pour favoriser la convergence des produits offerts. Malgré ces investissements, des problèmes techniques ont persisté, affectant l’expérience utilisateur. En 2017, des joueurs ont signalé la disparition de fonds sur EspaceJeux, la plateforme en ligne de Loto-Québec, entraînant une perte de confiance parmi les utilisateurs.
Stratégie numérique face à la concurrence des plateformes privées
Malgré le monopole légal de Loto-Québec sur les jeux en ligne dans la province, de nombreux joueurs se tournent vers des sites privés, souvent plus attractifs en termes d’offres et de promotions. Selon un sondage commandé par la Coalition québécoise du jeu en ligne, 73 % des utilisateurs de jeux de casino ou de paris sportifs préfèrent les sites privés à ceux de Loto-Québec. Cette situation met en lumière les défis auxquels Loto-Québec est confrontée pour rivaliser avec des plateformes privées bien établies.
En somme, malgré des investissements conséquents dans sa plateforme en ligne, Loto-Québec peine à s’imposer face à la concurrence privée, soulignant la nécessité d’une stratégie numérique plus efficace pour répondre aux attentes des joueurs.
6. Le Portail ArriveCAN : Un outil pandémique devenu un scandale (Fédéral)
Le portail ArriveCAN, mis en place par le gouvernement fédéral canadien pour faciliter l’entrée au Canada durant la pandémie de COVID-19, a été au cœur de nombreuses controverses en raison de sa gestion et de ses coûts.
Explosion des coûts
Initialement, le développement de l’application ArriveCAN était estimé à 80 000 $. Cependant, selon l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), les dépenses totales liées à l’application ont atteint 55 millions $ entre le 1ᵉʳ avril 2020 et le 31 mars 2023.
Problèmes techniques et perturbations pour les voyageurs
Malgré ces investissements, l’application a été critiquée pour ses retards et ses dysfonctionnements, causant des perturbations pour les voyageurs. Des rapports ont fait état de bugs et de difficultés d’utilisation, ajoutant aux frustrations des utilisateurs.
Manque de transparence sur les coûts et les sous-traitants
La gestion du projet a également été pointée du doigt pour son manque de transparence. Selon la vérificatrice générale, le projet a été si mal géré qu’il a été impossible d’établir son coût précis, bien qu’il ait été estimé à 59,5 millions $. De plus, les contrats liés à ArriveCAN impliquaient 23 sous-traitants distincts, mais les noms de ces sous-traitants n’ont pas été divulgués, invoquant des questions de confidentialité.
En somme, ArriveCAN, conçu pour être un outil essentiel durant la pandémie, est devenu un exemple des défis liés à la gestion de projets technologiques d’envergure au sein du gouvernement fédéral.
Pourquoi ces projets échouent-ils souvent ?
Ces échecs récurrents dans les projets gouvernementaux s’expliquent par plusieurs facteurs structurels et organisationnels :
1. Manque de vision et planification défaillante
De nombreux projets sont lancés sans une analyse approfondie des besoins réels ni une étude d’impact adéquate. Plutôt que de partir d’une évaluation précise des exigences des utilisateurs finaux et des contraintes technologiques, ces projets sont souvent motivés par des considérations politiques ou des échéanciers irréalistes. Résultat : des solutions mal adaptées et difficiles à implémenter.
2. Rigidité et lourdeur bureaucratique
Les administrations publiques sont connues pour leurs processus décisionnels lents et rigides. Cette bureaucratie excessive empêche une adaptation rapide aux imprévus, rendant les projets souvent obsolètes avant même leur déploiement. À cela s’ajoutent des changements de gouvernements ou de ministres qui ralentissent ou réorientent les projets, engendrant encore plus de retards et de surcoûts.
3. Mauvaise allocation des ressources
Une grande partie du budget est souvent allouée à des consultants externes très coûteux, parfois au détriment des experts internes qui connaissent mieux le terrain. De plus, la gestion des ressources humaines est souvent déficiente : des équipes insuffisamment qualifiées sont mises en charge de la supervision de projets technologiques complexes, entraînant des erreurs critiques et des décisions mal informées.
4. Absence de responsabilisation
Il est rare que des enquêtes approfondies soient menées pour identifier les véritables causes des dépassements budgétaires et des échecs. Lorsque des scandales éclatent, les responsabilités sont souvent diluées entre plusieurs acteurs, ce qui empêche toute correction efficace. Cette impunité institutionnelle favorise la répétition des mêmes erreurs d’un projet à l’autre.
5. Faible prise en compte des utilisateurs finaux
Dans de nombreux cas, les solutions sont développées sans réelle consultation des personnes qui vont les utiliser au quotidien. Cela entraîne des interfaces peu intuitives, des fonctionnalités inadaptées et des processus inutilisablement complexes. L’absence de tests utilisateurs avant le déploiement aggrave la situation, menant à des solutions peu ergonomiques et inefficaces.
Pistes de solutions et leçons à tirer
Face aux échecs répétés des grands projets technologiques gouvernementaux, plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour éviter les mêmes erreurs et assurer le succès des initiatives à venir.
1. Tester en profondeur avec des projets pilotes avant le déploiement total
👉 Plutôt que de lancer directement un projet à grande échelle, il est essentiel de procéder à des tests à petite échelle.
- Mise en place de projets pilotes dans des secteurs ou régions ciblées pour identifier les problèmes avant une généralisation.
- Évaluation continue des résultats pour ajuster la solution en fonction des retours des utilisateurs.
- Tests utilisateurs réguliers pour détecter les failles techniques et améliorer l’ergonomie.
🔹 Exemple : Un projet comme ArriveCAN aurait pu éviter bon nombre de ses problèmes si une phase de test prolongée avait été menée auprès des voyageurs avant un déploiement national.
2. Impliquer des experts internes et des startups locales
👉 Trop souvent, les projets sont confiés à des firmes externes aux coûts exorbitants et au savoir-faire inadapté. Il est crucial d’exploiter l’expertise locale et d’investir dans la montée en compétence des équipes internes.
- Prioriser les talents internes au sein de la fonction publique en formant des experts en technologies numériques.
- Encourager la collaboration avec des startups locales qui offrent des solutions innovantes, agiles et adaptées aux réalités du terrain.
- Limiter la dépendance aux consultants étrangers, souvent déconnectés des besoins locaux et facturant des sommes disproportionnées.
🔹 Exemple : Dans le cas du Panier Bleu, faire appel à des entrepreneurs québécois en e-commerce aurait permis de développer une plateforme plus adaptée aux réalités du marché local.
3. Mettre en place un suivi transparent avec responsabilisation des dirigeants
👉 L’un des problèmes majeurs des projets gouvernementaux est l’absence de transparence et de responsabilité face aux dépassements de coûts et aux échecs.
- Publier régulièrement des rapports d’étape avec des indicateurs de performance clairs.
- Mettre en place des audits indépendants pour surveiller l’avancement des projets et éviter la dilapidation des fonds publics.
- Sanctionner les responsables en cas de mauvaise gestion au lieu de simplement attribuer de nouveaux budgets pour corriger les erreurs.
🔹 Exemple : Dans le cas du système Phénix, des rapports détaillés sur l’augmentation des coûts et les erreurs de gestion auraient pu alerter les décideurs bien avant que les dysfonctionnements ne prennent une ampleur catastrophique.
4. Utiliser une approche agile et adaptable aux besoins des citoyens
👉 De nombreux projets échouent parce qu’ils sont développés selon des processus rigides et dépassés. Une méthodologie agile, qui permet des ajustements continus en fonction des retours des utilisateurs, serait plus efficace.
- Adopter une approche incrémentale en lançant des versions de base (MVP – Minimum Viable Product) et en les améliorant progressivement.
- Faire des ajustements en continu plutôt que d’attendre la livraison finale pour corriger les erreurs.
- Consulter directement les citoyens pour s’assurer que les solutions mises en place répondent réellement à leurs besoins.
🔹 Exemple : Une approche plus agile aurait permis à eHealth Ontario d’adapter son système progressivement au lieu d’attendre des années pour constater un échec coûteux.
Conclusion
Les échecs répétés de projets technologiques gouvernementaux démontrent qu’il ne suffit pas d’innover : il faut innover efficacement. Chaque initiative publique doit être pensée avec rigueur, transparence et une approche centrée sur l’utilisateur final.
Les dépassements de coûts astronomiques, les mauvaises planifications et l’absence de responsabilité sont autant de problèmes qui doivent être corrigés pour que les futurs projets bénéficient réellement aux citoyens. Tester avant de déployer, impliquer les experts locaux, adopter une gestion agile et assurer un suivi transparent sont des solutions incontournables pour éviter que l’histoire ne se répète.
Les gouvernements doivent donc moderniser leur approche et adopter une vision plus pragmatique et plus responsable de l’innovation, afin de garantir que chaque dollar investi améliore concrètement les services publics, plutôt que de se perdre dans des projets mal gérés.
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